Afin de consulter les gouvernants de la sous-région à
propos de la crise malienne, dans laquelle la France s’est
auto-attribué le rôle de « facilitatrice » sans qu’on sache à quel
titre, les ministres Laurent Fabius et Pascal Canfin se sont offert une
virée bien françafricaine.
Au prétexte de lutter contre les « terroristes » du Nord Mali, ils se sont rendus du 26 au 28 juillet chez certains des pires criminels du continent, eux-mêmes « terroristes » à l’encontre de leur propre population. Les déclarations officielles de Fabius ont fini d’enterrer les espoirs de remise en cause du soutien aux despotes et de la coopération française, notamment sur le plan militaire et policier, avec les régimes dictatoriaux.
Au prétexte de lutter contre les « terroristes » du Nord Mali, ils se sont rendus du 26 au 28 juillet chez certains des pires criminels du continent, eux-mêmes « terroristes » à l’encontre de leur propre population. Les déclarations officielles de Fabius ont fini d’enterrer les espoirs de remise en cause du soutien aux despotes et de la coopération française, notamment sur le plan militaire et policier, avec les régimes dictatoriaux.
Dans le prolongement de la très critiquée réception à l’Elysée du dictateur gabonais Ali Bongo le 5 juillet et de celle de l’infréquentable Alassane Ouattara le 26 juillet,
le chef de la diplomatie française et le ministre délégué au
développement n’ont pas hésité à se rendre au Burkina Faso et au Tchad, à
l’occasion d’une tournée ouest-africaine qui les a aussi amenés au
Niger et au Sénégal.
Burkina Faso : aucun problème !
Á Ouagadougou, nos deux ministres et le député socialiste François Loncle, président du groupe d’amitié parlementaire France-Burkina Faso, ont ainsi rencontré successivement le ministre burkinabè des Affaires Etrangères, Djibrill Bassolé, et son dictateur de patron Blaise Compaoré.
A l’issue du premier entretien, Fabius a fait une déclaration cent fois entendue : « Sur les relations bilatérales, les choses vont très bien. La France et le Burkina Faso sont amis de longue date. Les relations entre nos gouvernants sont excellentes. La coopération va se poursuivre, s’amplifier si c’est possible. Nous n’allons pas inventer des problèmes là où ils n’existent pas. Il s’agit d’une véritable coopération de long terme, fluide, et nous avons l’intention, bien sûr, de la poursuivre ». Bien sûr.
Car peu importe, après tout, que le pays soit dirigé par un despote resté au pouvoir plus longtemps que le tunisien Ben Ali ; qu’il ait fait éliminer Thomas Sankara pour prendre la tête du pays en 1987 ; que pour le journaliste Norbert Zongo, l’étudiant Dabo Boukary, et tous les autres martyrs de son règne, les familles attendent toujours que justice leur soit rendue ; et que son rôle soit même régulièrement évoqué, y compris lors du procès de Charles Taylor au Tribunal Spécial pour le Sierra Leone, dans les guerres qui ont dévasté ce pays et le Libéria à la fin des années 90.
Peu importe tout cela pour ces ministres et ce député puisque Blaise les a ensuite « très aimablement reçus », selon Fabius qui n’a ensuite rien trouvé de mieux à exprimer que sa « certitude que l’amitié entre la France et le Burkina est entre de bonnes mains ».
On attend la réaction du socialiste Pouria Amirshahi, député des français de l’étranger sur cette circonscription et secrétaire national du PS à la coopération, à la francophonie et aux droits de l’homme. Ce dernier avait en effet fait savoir sa désapprobation sur la rencontre Hollande-Bongo, début juillet. Surtout, il avait pris soin, lors d’un déplacement au Burkina fin avril, de ne pas rencontrer les autorités en déclarant même en conférence de presse que les burkinabè attendent « l’alternance, après 25 ans de présidence Compaoré ». Visiblement, ça n’est plus la ligne officielle du PS...
« L’expérience » de Déby : comme terroriste ?
Mais le pire restait à venir. Á N’Djamena, le patron du Quai d’Orsay a en effet fini de dissiper les espoirs des démocrates tchadiens qui attendaient une remise en cause du soutien historique dont bénéficie Idriss Déby. À la question d’un journaliste, lui demandant « avec l’arrivée des socialistes au pouvoir, quelle sera la coopération entre le Tchad et la France ? », sa réponse est limpide : « Il y a un changement de président de la République, un changement de gouvernement, mais les relations d’amitiés demeurent. Le Tchad et la France, depuis très longtemps, ont des relations d’amitié, de partenariat. (...) J’ai ainsi trouvé dans le président Déby, que j’ai déjà rencontré il y a quelques années, un interlocuteur extrêmement ouvert à ce partenariat dont je me réjouis ». Le changement dans la continuité !
Fabius, impavide, a proclamé à cette occasion que ses collègues et lui étaient les « amis de la démocratie » et bien sûr « les amis de l’Afrique ». Sans doute autant de bonnes raisons de légitimer Idriss Déby, dont la place serait pourtant aux côtés de son prédécesseur et ancien patron Hissène Habré, accusé de génocide et réfugié au Sénégal en attente d’être traduit en justice. Fabius, qui était venu chercher un soutien de plus à la position de la France (de « facilitatrice », bien sûr) dans la lutte contre les « terroristes » d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et leurs alliés, ne croit pas si bien dire en déclarant : « Le président Déby est connu pour l’expérience qu’il a sur toute une série de problèmes qui concernent la région ».
Il est vrai que son CV est éloquent : sa responsabilité dans les massacres au Sud du pays dans les années 90 et la répression brutale de son régime font de lui un chef d’État terroriste, au sens qu’il terrorise sa propre population depuis déjà 21 ans, c’est-à-dire depuis son installation à la tête du pays grâce aux services secrets français.
Il ne doit cette longévité au pouvoir qu’aux interventions de l’armée française et à la coopération militaire, dont on serait en droit d’attendre la suspension de la part d’un gouvernement progressiste. Mais Fabius, qui dit ne pas avoir évoqué avec Déby le sujet du millier de soldats français positionnés en permanence dans le pays, a cependant affirmé son « sentiment que la coopération entre le Tchad et la France va évidemment se poursuivre, se développer ».
On ignore si le ministre EELV Pascal Canfin a participé ou non à cet entretien-là, mais il était bien présent au Tchad. Celui qui avait eu le culot d’affirmer dans une interview quelques jours plus tôt que son gouvernement avait « normalisé les relations entre la France et l’Afrique » confirme donc tacitement qu’il est « normal » que des ministres français se rendent chez l’un des dictateurs les plus brutaux du continent.
Fabius ne commet pas d’erreur
C’est finalement lors de l’étape sénégalaise de nos ministres qu’on peut trouver, dans les propos de Fabius, une prudente circonspection. Le patron du Quai d’Orsay, venant visiter le mouvement « Y en a marre », a en effet averti que « il faut aussi une vigilance parce que, même si un gouvernement est plus progressiste qu’un autre, il peut quand même commettre des erreurs ». Mais il parlait alors du gouvernement de Macky Sall, et ne pensait évidemment pas à lui-même :« j’ai été ministre et Premier ministre très jeune et l’expérience cela a l’avantage d’aider à éviter les erreurs à ne pas commettre. Et la faute principale à commettre, c’est de rester enfermé dans les palais officiels et de se couper de la population ».
C’est facile, à Dakar, de ne pas se limiter au « Sénégal officiel », comme il dit. En revanche, au Burkina Faso et au Tchad, on peut se contenter de rencontrer des gouvernants qui ne subsistent que par la répression de la population, et même réaffirmer les liens amicaux avec la dictature. Car en France les gouvernements passent, et « les relations d’amitiés demeurent » : Fabius le dit et le prouve.
Thomas Noirot
4 Août 2012
Vous venez de lire un article du mensuel Billets d'Afrique 216 - septembre 2012. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous à Billets d'Afrique et d'ailleurs.
Burkina Faso : aucun problème !
Á Ouagadougou, nos deux ministres et le député socialiste François Loncle, président du groupe d’amitié parlementaire France-Burkina Faso, ont ainsi rencontré successivement le ministre burkinabè des Affaires Etrangères, Djibrill Bassolé, et son dictateur de patron Blaise Compaoré.
A l’issue du premier entretien, Fabius a fait une déclaration cent fois entendue : « Sur les relations bilatérales, les choses vont très bien. La France et le Burkina Faso sont amis de longue date. Les relations entre nos gouvernants sont excellentes. La coopération va se poursuivre, s’amplifier si c’est possible. Nous n’allons pas inventer des problèmes là où ils n’existent pas. Il s’agit d’une véritable coopération de long terme, fluide, et nous avons l’intention, bien sûr, de la poursuivre ». Bien sûr.
Car peu importe, après tout, que le pays soit dirigé par un despote resté au pouvoir plus longtemps que le tunisien Ben Ali ; qu’il ait fait éliminer Thomas Sankara pour prendre la tête du pays en 1987 ; que pour le journaliste Norbert Zongo, l’étudiant Dabo Boukary, et tous les autres martyrs de son règne, les familles attendent toujours que justice leur soit rendue ; et que son rôle soit même régulièrement évoqué, y compris lors du procès de Charles Taylor au Tribunal Spécial pour le Sierra Leone, dans les guerres qui ont dévasté ce pays et le Libéria à la fin des années 90.
Peu importe tout cela pour ces ministres et ce député puisque Blaise les a ensuite « très aimablement reçus », selon Fabius qui n’a ensuite rien trouvé de mieux à exprimer que sa « certitude que l’amitié entre la France et le Burkina est entre de bonnes mains ».
On attend la réaction du socialiste Pouria Amirshahi, député des français de l’étranger sur cette circonscription et secrétaire national du PS à la coopération, à la francophonie et aux droits de l’homme. Ce dernier avait en effet fait savoir sa désapprobation sur la rencontre Hollande-Bongo, début juillet. Surtout, il avait pris soin, lors d’un déplacement au Burkina fin avril, de ne pas rencontrer les autorités en déclarant même en conférence de presse que les burkinabè attendent « l’alternance, après 25 ans de présidence Compaoré ». Visiblement, ça n’est plus la ligne officielle du PS...
« L’expérience » de Déby : comme terroriste ?
Mais le pire restait à venir. Á N’Djamena, le patron du Quai d’Orsay a en effet fini de dissiper les espoirs des démocrates tchadiens qui attendaient une remise en cause du soutien historique dont bénéficie Idriss Déby. À la question d’un journaliste, lui demandant « avec l’arrivée des socialistes au pouvoir, quelle sera la coopération entre le Tchad et la France ? », sa réponse est limpide : « Il y a un changement de président de la République, un changement de gouvernement, mais les relations d’amitiés demeurent. Le Tchad et la France, depuis très longtemps, ont des relations d’amitié, de partenariat. (...) J’ai ainsi trouvé dans le président Déby, que j’ai déjà rencontré il y a quelques années, un interlocuteur extrêmement ouvert à ce partenariat dont je me réjouis ». Le changement dans la continuité !
Fabius, impavide, a proclamé à cette occasion que ses collègues et lui étaient les « amis de la démocratie » et bien sûr « les amis de l’Afrique ». Sans doute autant de bonnes raisons de légitimer Idriss Déby, dont la place serait pourtant aux côtés de son prédécesseur et ancien patron Hissène Habré, accusé de génocide et réfugié au Sénégal en attente d’être traduit en justice. Fabius, qui était venu chercher un soutien de plus à la position de la France (de « facilitatrice », bien sûr) dans la lutte contre les « terroristes » d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et leurs alliés, ne croit pas si bien dire en déclarant : « Le président Déby est connu pour l’expérience qu’il a sur toute une série de problèmes qui concernent la région ».
Il est vrai que son CV est éloquent : sa responsabilité dans les massacres au Sud du pays dans les années 90 et la répression brutale de son régime font de lui un chef d’État terroriste, au sens qu’il terrorise sa propre population depuis déjà 21 ans, c’est-à-dire depuis son installation à la tête du pays grâce aux services secrets français.
Il ne doit cette longévité au pouvoir qu’aux interventions de l’armée française et à la coopération militaire, dont on serait en droit d’attendre la suspension de la part d’un gouvernement progressiste. Mais Fabius, qui dit ne pas avoir évoqué avec Déby le sujet du millier de soldats français positionnés en permanence dans le pays, a cependant affirmé son « sentiment que la coopération entre le Tchad et la France va évidemment se poursuivre, se développer ».
On ignore si le ministre EELV Pascal Canfin a participé ou non à cet entretien-là, mais il était bien présent au Tchad. Celui qui avait eu le culot d’affirmer dans une interview quelques jours plus tôt que son gouvernement avait « normalisé les relations entre la France et l’Afrique » confirme donc tacitement qu’il est « normal » que des ministres français se rendent chez l’un des dictateurs les plus brutaux du continent.
Fabius ne commet pas d’erreur
C’est finalement lors de l’étape sénégalaise de nos ministres qu’on peut trouver, dans les propos de Fabius, une prudente circonspection. Le patron du Quai d’Orsay, venant visiter le mouvement « Y en a marre », a en effet averti que « il faut aussi une vigilance parce que, même si un gouvernement est plus progressiste qu’un autre, il peut quand même commettre des erreurs ». Mais il parlait alors du gouvernement de Macky Sall, et ne pensait évidemment pas à lui-même :« j’ai été ministre et Premier ministre très jeune et l’expérience cela a l’avantage d’aider à éviter les erreurs à ne pas commettre. Et la faute principale à commettre, c’est de rester enfermé dans les palais officiels et de se couper de la population ».
C’est facile, à Dakar, de ne pas se limiter au « Sénégal officiel », comme il dit. En revanche, au Burkina Faso et au Tchad, on peut se contenter de rencontrer des gouvernants qui ne subsistent que par la répression de la population, et même réaffirmer les liens amicaux avec la dictature. Car en France les gouvernements passent, et « les relations d’amitiés demeurent » : Fabius le dit et le prouve.
Thomas Noirot
4 Août 2012
Vous venez de lire un article du mensuel Billets d'Afrique 216 - septembre 2012. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous à Billets d'Afrique et d'ailleurs.
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