Il y a quelques mois, nous assistions à une conférence organisée par nos amis de l'association Cauri autour du dernier livre de Jean-François Dupaquier "L'Agenda du Génocide". Un travail d'enquête, de journaliste, que l'auteur a voulu non-partisan, et le plus impartial possible.
Le 26 Mai 2011, le Général Tauzin se rendait à l'Athénée Libertaire afin de présenter "Je demande justice pour la France et ses soldats", sur invitation de l'association Amitiés Françaises, afin de rétablir l'honneur de la France (selon se propres propos) dans cette affaire du génocide des Tutsi du Rwanda.
Voici un article de Billets d'Afrique et d'ailleurs de Juin 2011, faisant réponse à la tournée du général Tauzin:
Le général Didier Tauzin paie de sa personne depuis la sortie de son ouvrage, Rwanda, je demande justice pour la France et ses soldats. Une tournée promotionnelle à travers toute la France d’après les articles, souvent critiques, de la presse régionale.
Récemment, c’est à Bayonne, au siège du Premier RPIMA, devant un public clairsemé, qu’il a donné une conférence sur l’engagement militaire français au Rwanda. Un régiment qu’il connaît bien puisqu’il y a été chef de corps du 12 décembre 1992 au 28 juillet 1997.
La tournée de Tauzin est surtout l’occasion d’identifier les principaux éléments de son argumentation lorsqu’il s’agit de « sauver l’honneur de la France et de son armée ». On laissera de côté, les inepties habituelles sur l’atavisme prétendu des « Tutsi et Hutu qui se vouent une haine ancestrale » qui « interdisait l’utopie d’une réconciliation » comme s’il s’agissait de deux groupes ethniques différents. Affirmation abrupte qui n’est pas différente de celle émise à l’occasion de son audition devant la Mission d’information parlementaire en 1998 : « Les Tutsi sont, par nature, des guerriers, ce qui n’est pas le cas des Hutu ».
Des considérations étonnantes pour quelqu’un qui a été auditeur à l’Institut des hautes études de Défense nationale et conseiller militaire du président Pierre Buyoya au Burundi.
Les lacunes de Tauzin
« Si la France a commis une faute dans cette guerre du Rwanda, c’est bien à ce moment-là, en s’abstenant d’intervenir dès le 7 avril pour arrêter les massacres. Mais elle n’est pas la plus coupable, et de beaucoup ! Plus coupables, tous les pays qui ont tout fait pour empêcher la France d’intervenir ! Plus coupables surtout, ceux qui ont exécuté, commandité, organisé et planifié ces massacres, bien sûr ! Mais il reste à les désigner précisément, car, contrairement à ce qui est répété à l’infini, les vrais coupables ne sont pas désignés, comme le confirment les travaux du Tribunal pénal international pour le Rwanda qui, à ce jour, a relaxé tous les Hutus présentés comme les cerveaux du génocide ».
C’est un des principaux arguments de Tauzin, répété à longueur d’interview et qui lui sert de démonstration pour exclure toute complicité de la France : le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) n’a pas reconnu la planification du génocide.
Mais le TPIR n’a pas seulement condamné la plupart des accusés pour « génocide », il a bel et bien condamné certains d’entre eux pour « entente en vue de commettre le génocide ». Et non des moindres, puisqu’il s’agit de l’ancien Premier ministre du GIR, Jean Kambanda, et de l’ancien ministre de l’Information, Eliézer Niyitegeka. La planification du génocide des Tutsi est donc reconnue par le tribunal.
Quant à la complicité des autorités françaises, elle ne se limite pas à la période de sa préparation (octobre 1990 – 6 avril 1994). C’est pendant le génocide lui-même, une fois le massacre des Tutsi déclenché, que nos dirigeants se sont entêtés dans une alliance avec ceux qui le perpétraient, jusqu’à les évacuer au Zaïre pendant l’opération Turquoise, après qu’ils eurent été finalement vaincus par les troupes du FPR.
Le résumé des faits
L’opération Amaryllis (évacuation des Français et des Européens par des militaires français) s’est déroulée dans un contexte marqué par « l’élimination des opposants et des Tutsi », comme en fait état son ordre d’opération daté du 8 avril 1994. Signataire de la convention de 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide, la France était tenue d’enjoindre à ses troupes présentes sur place de s’opposer aux massacres.
Le gouvernement français n’a cependant nullement enjoint à nos soldats de secourir les victimes. Au contraire, il a donné l’ordre de ne pas montrer aux médias « des soldats français n’intervenant pas pour faire cesser des massacres dont ils étaient les témoins proches ». Et il a fait livrer des armes aux Forces armées rwandaises (FAR) dans la nuit du 8 avril, comme en ont témoigné des officiers de la MINUAR (Mission des Nations unies d’assistance au Rwanda).
Les extrémistes hutus à l’Elysée
Le 21 avril 1994, la France, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, a, comme les autres grandes puissances, voté la réduction drastique du contingent de Casques bleus, abandonnant les Rwandais tutsi à leur sort tragique. Mais nos dirigeants ont fait pire : le 27 avril 1994, les plus hautes autorités françaises ont reçu à Paris deux des extrémistes hutu les plus virulents, responsables du génocide en cours : Jérôme Bicamumpaka, ministre des Affaires étrangères du GIR, et Jean-Bosco Barayagwiza.
Ils sont accueillis à l’Elysée par Bruno Delaye, conseiller Afrique de François Mitterrand, et à Matignon par Edouard Balladur, Premier ministre, et Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères. La France reconnaissait ainsi de fait le Gouvernement intérimaire rwandais, couverture politique du génocide. Elle a été le seul pays occidental à le faire.
Du 9 au 13 mai 1994, le lieutenant-colonel Rwabalinda, conseiller du chef d’Etat-major des FAR, qui encadraient le génocide, a rencontré à Paris le général Jean-Pierre Huchon, chef de la Mission militaire de coopération. Pendant toute la durée du génocide, ce même général Huchon a reçu régulièrement le colonel Kayumba, directeur du service financier du ministère rwandais de la Défense. Celui-ci a organisé six livraisons d’armes aux tueurs entre le 18 avril et le 19 juillet 1994.
Le 22 mai 1994, devant l’avancée des troupes du FPR, le président rwandais par intérim, Théodore Sindikubwabo, adresse une lettre à François Mitterrand : « Le Peuple Rwandais Vous exprime ses sentiments de gratitude pour le soutien moral, diplomatique et matériel que vous lui avez assuré depuis 1990 jusqu’à ce jour. En son nom, je fais encore une fois appel à Votre généreuse compréhension et à celle du Peuple Français en vous priant de nous fournir encore une fois Votre appui tant matériel que diplomatique. »
A cette date, au moins un demi-million de Tutsi a déjà été massacré au Rwanda...
Comment le chef d’un Etat en train de commettre le crime des crimes a-t-il pu se sentir autorisé à solliciter l’aide de la France ? Est-ce en réponse à cette demande que le président Mitterrand trouve urgent, à la mi-juin 1994, d’intervenir afin de mettre fin aux massacres, alors qu’il n’avait pas jugé bon de le faire en avril ?
1994, le retour de Tauzin au Rwanda
C’est le moment où Didier Tauzin revient au Rwanda, prêt à en découdre à nouveau avec le FPR, comme il le déclare ouvertement. La Zone humanitaire sûre créée par l’opération Turquoise à l’ouest du Rwanda est immédiatement utilisée comme refuge par les auteurs du génocide, en passe d’être défaits militairement par le FPR.
Face à cette situation, l’ambassadeur Yannick Gérard envoie un télégramme à Paris le 15 juillet 1994 en indiquant : « [...] dans la mesure où nous savons que les autorités portent une lourde responsabilité dans le génocide, nous n’avons pas d’autre choix, quelles que soient les difficultés, que de les arrêter ou de les mettre immédiatement en résidence surveillée en attendant que les instances judiciaires internationales compétentes se prononcent sur leur cas. »
Les responsables et les auteurs du génocide (soldats des FAR, miliciens...) présents dans la Zone humanitaire sûre mise en place par Turquoise n’y sont pas arrêtés. Au contraire, ils sont laissés libres d’aller se réfugier au Zaïre, impunément, avec armes et bagages.
Le numéro d’octobre 1994 de la revue de la Légion étrangère, Képi blanc, écrit même que « l’état-major tactique [de Turquoise] provoque et organise l’évacuation du gouvernement rwandais vers le Zaïre ». Le colonel Théoneste Bagosora, principal artisan du génocide, avait déjà été évacué par nos soldats début juillet.
Les conséquences désastreuses pour la région des Grands Lacs
La fuite des génocidaires au Zaïre, orchestrée par les Français, est à la racine de la tragédie congolaise, qui a fait plusieurs millions de victimes.
« On peut difficilement sous-estimer les conséquences de la politique française. La fuite des génocidaires au Zaïre engendra, ce qui était presque inévitable, une nouvelle étape plus complexe de la tragédie rwandaise et la transforma en un conflit qui embrasa rapidement toute l’Afrique centrale ». Ainsi s’exprimait, en 2000, le groupe international d’éminentes personnalités auteur du rapport de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) intitulé Le génocide qu’on aurait pu stopper (§15.85).
Alors le comble du cynisme est atteint quand Didier Tauzin prétend rendre le FPR responsable des six millions de morts des Grands Lacs (au Rwanda et au Congo Kinshasa) parce que ce mouvement a déclenché la guerre de 1990.
Des événements historiques d’une telle magnitude qu’un génocide et deux guerres sont la résultante du jeu de multiples acteurs.
Mais de même qu’on peut affirmer que la France pouvait, entre 1990 et avril 1994, empêcher le génocide en retirant son soutien au régime Habyarimana, elle pouvait, en arrêtant ses auteurs à l’été 1994, prévenir l’explosion de l’Afrique des Grands Lacs.
Raphaël de Benito, Raphaël Doridant
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