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Victime présumée
La presse française vient d’inventer une nouvelle notion de droit, celle de « victime présumée ». On peut faire une recherche sur le net, cette expression n’a jamais été utilisée avant l’affaire DSK. Notre propos n’est pas d’épiloguer sur ladite affaire – on aura tout le temps de le faire à bon escient – mais seulement de nous interroger sur cette création linguistique singulière.
Ce qui existe, c’est la présomption d’innocence qui interdit de désigner quelqu’un comme coupable avant qu’il ait été condamné comme tel par un tribunal. Il y a des manquements innombrables, certains célèbres, à cet interdit. Nicolas Sarkozy, interrogé sur l’affaire des listings Clearstream déclare publiquement en septembre 2009 « Après deux ans d’enquête, deux juges indépendants ont décidé que les coupables devaient être traduits devant le tribunal correctionnel. » Le statut de victime, lui, ne comporte aucun doute. On parle, dans les statistiques de la délinquance, simplement de victimes.
Pourtant, il existe des cas de plaintes mensongères mais cela n’entraîne pas pour autant une règle générale de suspicion a priori qui permettrait de parler de victime présumée. L’emballement médiatique, en juillet 2004, dans l’affaire Marie Leblanc du RER D, avait provoqué des déclarations tonitruantes de leaders politiques de tous bords et un déchaînement raciste quant à l’appartenance ethnique des coupables désignés.
Il y a en effet victime et victime, la bonne dont on va médiatiser à outrance le calvaire, la mauvaise qui vient fâcheusement ternir la réputation des maîtres de la morale. Ainsi, on nous informe à la télé sur les progrès de l’enquête menée après la disparition, mentionnée après chaque bulletin d’information, de deux Français en Côte d’Ivoire le 4 avril au Novotel d’Abidjan. Le corps de l’un d’entre eux vient d’être découvert. Une juge d’instruction française va se rendre sur place.
Le ministre ivoirien de la Justice déclare : « J’ai des personnes sous la main, présumées liées à l’enlèvement ». On imagine facilement que cette main va leur faire raconter tout ce qu’on leur demande. Par contre pas d’enquête, pas de juge, pas de déclaration ministérielle, et, bien sûr, aucune info télé sur l’assassinat du professeur français Philippe Rémond le 1er avril dans une chambre d’hôtel à Yamoussoukro. Les autorités françaises sur place parlent du bout des lèvres d’une balle perdue, un accident en quelque sorte, et se taisent sur l’identité de la victime. Et pour cause : Philippe Rémond était un soutien notoire du président Gbagbo. Il avait reçu des menaces et se cachait.
Le ministère des Affaires étrangères à Paris en est encore à vérifier l’information sur la mort de ce citoyen français, victime présumée probablement lui aussi, selon la nouvelle terminologie. Le vocabulaire à la mode s’était déjà enrichi de toute une panoplie autour du mot « victime », considéré comme tabou dans la relation de certains faits historiques peu flatteurs pour les groupes dominants. Ainsi « victimisation », « compétition victimaire » ont émaillé les discours d’intimidation des parleurs médiatiques qui stigmatisent toute évocation du calvaire des Africains déportés pendant des siècles aux Amériques, semant leurs morts dans l’océan et sur les plantations, ou de celui imposé ensuite en Afrique à ceux qui restaient, soumis à l’extermination par les travaux forcés.
De même le mot « coupable » est également tabou. Ceux qui se targuent de donner des leçons de morale au monde entier ne peuvent être coupables de quoi que ce soit, sinon par pur masochisme, comme le prétend Pascal Bruckner. La loi du silence doit donc s’exercer sur tous les crimes qu’ils commettent pour faire régner le Bien.
Et, si quelques fâcheux bruits naissent malgré tout, il y a tout l’arsenal de l’euphémisation, du doute et de la dénégation : dégâts collatéraux, victime présumée, balle perdue...
Odile Tobner
Pourtant, il existe des cas de plaintes mensongères mais cela n’entraîne pas pour autant une règle générale de suspicion a priori qui permettrait de parler de victime présumée. L’emballement médiatique, en juillet 2004, dans l’affaire Marie Leblanc du RER D, avait provoqué des déclarations tonitruantes de leaders politiques de tous bords et un déchaînement raciste quant à l’appartenance ethnique des coupables désignés.
Il y a en effet victime et victime, la bonne dont on va médiatiser à outrance le calvaire, la mauvaise qui vient fâcheusement ternir la réputation des maîtres de la morale. Ainsi, on nous informe à la télé sur les progrès de l’enquête menée après la disparition, mentionnée après chaque bulletin d’information, de deux Français en Côte d’Ivoire le 4 avril au Novotel d’Abidjan. Le corps de l’un d’entre eux vient d’être découvert. Une juge d’instruction française va se rendre sur place.
Le ministre ivoirien de la Justice déclare : « J’ai des personnes sous la main, présumées liées à l’enlèvement ». On imagine facilement que cette main va leur faire raconter tout ce qu’on leur demande. Par contre pas d’enquête, pas de juge, pas de déclaration ministérielle, et, bien sûr, aucune info télé sur l’assassinat du professeur français Philippe Rémond le 1er avril dans une chambre d’hôtel à Yamoussoukro. Les autorités françaises sur place parlent du bout des lèvres d’une balle perdue, un accident en quelque sorte, et se taisent sur l’identité de la victime. Et pour cause : Philippe Rémond était un soutien notoire du président Gbagbo. Il avait reçu des menaces et se cachait.
Le ministère des Affaires étrangères à Paris en est encore à vérifier l’information sur la mort de ce citoyen français, victime présumée probablement lui aussi, selon la nouvelle terminologie. Le vocabulaire à la mode s’était déjà enrichi de toute une panoplie autour du mot « victime », considéré comme tabou dans la relation de certains faits historiques peu flatteurs pour les groupes dominants. Ainsi « victimisation », « compétition victimaire » ont émaillé les discours d’intimidation des parleurs médiatiques qui stigmatisent toute évocation du calvaire des Africains déportés pendant des siècles aux Amériques, semant leurs morts dans l’océan et sur les plantations, ou de celui imposé ensuite en Afrique à ceux qui restaient, soumis à l’extermination par les travaux forcés.
De même le mot « coupable » est également tabou. Ceux qui se targuent de donner des leçons de morale au monde entier ne peuvent être coupables de quoi que ce soit, sinon par pur masochisme, comme le prétend Pascal Bruckner. La loi du silence doit donc s’exercer sur tous les crimes qu’ils commettent pour faire régner le Bien.
Et, si quelques fâcheux bruits naissent malgré tout, il y a tout l’arsenal de l’euphémisation, du doute et de la dénégation : dégâts collatéraux, victime présumée, balle perdue...
Odile Tobner
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