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samedi 19 janvier 2013
Mali: "pas sûre que l’intervention militaire puisse résoudre en profondeur les problèmes"
Source: alternatives économiques: http://alternatives-economiques.fr/blogs/collin/2013/01/16/questions-sur-le-mali-a-berangere-rouppert-chercheur-au-grip/
Auteur d’une récente note d’analyse « L’étonnant consensus autour de l’intervention française au Mali, B. Rouppert du Think Tank belge le GRIP (pour Groupe de Recherche et d’Information sur la Paix et la Sécurité) porte un nouveau regard sur cette guerre, bien différent de celui que l’on peut trouver dans la presse française..
Question : L’intervention militaire de la France entre-t-elle dans un cadre onusien ?
Berangère Rouppert : La résolution 2085 du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) ne semble pas ici prise comme base légale de l’intervention qui demande que tout soutien au Mali se fasse dans le cadre de la MISMA (Mission internationale de soutien au Mali sous commandement africain). La plupart des commentateurs justifient l’intervention par le risque de sanctuarisation qui se profilait ainsi que sur le risque de voir Bamako tomber en quelques jours.
Paris a en effet justifié son action sur la base de l’article 51 de la Charte de l’ONU qui souligne le « droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée». La question est là : qu’est ce qui prévaut ? La Charte des Nations unies ou le long processus de négociations multilatérales qui dure depuis un an et qui a abouti à ce consensus de la résolution 2085 ? En outre, ce même article 51 précise que ce droit à la légitime défense collective peut s’exercer « jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales » : or, les mesures avaient déjà été prises par le CSNU et plaçaient tout appui des États membres dans le cadre de la MISMA. La France ne se place pas dans ce cadre-ci puisqu’elle agit en bilatéral. L’arrivée précipitée des contingents ouest-africains et du général nigérian commandant la MISMA pourrait être interprétée comme la construction d’une légitimation a posteriori, faisant de la France une composante à part entière de l’intervention sous commandement africain.
L’on justifie également cette intervention par la demande officielle d’aide du président malien par intérim au président français. Mais le président Traoré est assis sur une légitimité toute relative puisqu’elle émane d’un accord-cadre dont la constitutionnalité pose question car signé entre une organisation régionale et une junte arrivée au pouvoir par un coup d’état, et dont la valeur juridique est inconnue.
Question : Quel avenir pour cette intervention française au Mali ?
Berangère Rouppert : C’est tout le problème : où va-t-on ? Quelle est la stratégie de court terme, de moyen terme, de long terme et les possibilités de respecter les objectifs fixés ? Car l’objectif c’est de passer rapidement le relais à la CEDEAO. Mais quelle est la capacité actuelle des forces ouest-africaines à prendre le relais ? La question se pose en effet puisque le déploiement de la MISMA n’était prévu que pour septembre 2013 en raison des préparatifs nécessaires au bon déroulement de la mission : la préparation des contingents qui devaient partir, leur équipement, leur financement, des questions de logistiques. Là, leur arrivée est précipitée même si elle va prendre une, deux ou trois semaines et donc il est légitime de ce fait de s’interroger sur la capacité des forces ouest-africaines à soutenir l’effort de guerre intensif nécessaire en lieu et place des forces françaises. Il en va de même pour l’armée malienne que l’on nous disait indisciplinée, corrompue, mal équipée, insuffisamment formée et qui devait bénéficier d’une formation par l’Union européenne : l’UE va certes déployer sa mission plus tôt que prévue mais il va falloir revoir le type de formation à dispenser sur du court terme et non plus du moyen terme et identifier les bataillons à former sachant que les plus opérationnels se trouvent sur le front.
Étant donnés ces doutes, l’on peut penser que les Français seront présents pour un long moment au Mali en première ligne jusqu’à ce que les forces africaines soient opérationnelles puis comme une composante importante de cette mission internationale sous commandement africain.
Par ailleurs, se pose la question de la sortie de crise. En effet, chasser les islamistes de Gao, Kidal et Tombouctou à grands renforts de bombardements aériens peut en effet ne prendre que “quelques semaines” ; en revanche, s’assurer que les combattants ne reviennent pas, s’inscrit dans la longue durée. Dans ces conditions, le risque d’enlisement, sur fond de guerre asymétrique, se profile à l’horizon. L’on ne peut écarter le risque que l’intervention française dans une ancienne colonie, bien qu’avalisée par de nombreux acteurs et demandée par le président malien par intérim, ne serve la cause des groupes islamistes et n’entraîne une mobilisation de nouvelles recrues séduites par les thèmes de la lutte contre l’ancienne puissance coloniale et, plus largement, de la lutte contre l’Occident.
Question : Comment expliquez-vous l’absence de soutien européen et américain à cette intervention militaire française ?
Berangère Rouppert : Les partenaires de la France ont répondu présents, par un soutien politique tout d’abord et par un soutien en termes logistiques, transport de troupes, évacuation médicale, ainsi que l’a demandé le gouvernement français. L’action de la France a été précipitée et a anticipé l’action internationale. La stratégie reste floue, la stratégie de sortie crise, si elle existe, n’est pas rendue publique. La prudence vient peut-être du fait que les Américains ont expérimenté en Afghanistan les limites de l’intervention militaire pour résoudre le problème des groupes islamistes. La France dit intervenir pour lutter contre le terrorisme international et mettre un coup d’arrêt aux actions des islamistes au Mali. Je ne suis pas sûre que l’intervention militaire puisse résoudre le problème des groupes islamistes et plus largement les problèmes du Mali qui sont d’ordre socio-économiques. C’est en s’attaquant aux problématiques socio-économiques que l’on obtiendra des résultats durables à même de diminuer l’influence des groupes islamistes et de combattre la diffusion de l’idéologie islamistes ou à tout le moins sa capacité d’attraction en ce qu’elle est à même de répondre mieux que l’État aux attentes des citoyens.
Question : La France intervient-elle pour soutenir un allié ou pensez-vous que d’autres raisons peuvent expliquer cette action?
Berangère Rouppert : Les flous sont encore nombreux. Peut-être que le temps aidera à les dissiper. La France dit intervenir pour lutter contre le terrorisme international et mettre un coup d’arrêt aux actions des islamistes au Mali. Comme je l’ai dit précédemment, je ne suis pas sûre que l’intervention militaire puisse résoudre en profondeur les problèmes à l’origine de l’enracinement de ces groupes au nord-Mali. En outre, l’Irak et l’Afghanistan l’ont montré, si les opérations militaires peuvent toucher durement les islamistes, elles ne les annihilent pas et ils sont toujours là.
La France a parlé de la protection de ses ressortissants au nombre de 6000 ; pourtant les responsables militaires sur place aux premiers jours de l’intervention ont dit que ce n’était pas « la priorité » (voir RFI du 13 janvier) même s’ils prenaient cette dimension en compte. Pour ce qui concerne les intérêts économiques, ils ne sont pas si importants que cela : la France n’est pas un gros investisseur dans le pays ni un gros fournisseur ; le Mali n’est pas un client important non plus. Il n’est pas sûr donc qu’il faille chercher de ce côté-ci.
Je pense qu’il faut considérer la situation sous un angle régional. La France a dans la région des partenaires économiques importants, au premier rang desquels se trouve l’Algérie ou encore la Côte d’Ivoire : la stabilité de la région lui importe beaucoup donc. A cela s’ajoute la dimension énergétique : en effet, qu’il s’agisse de la Mauritanie ou du Niger, de nombreuses firmes françaises, Total et Areva entre autres, exploitent le sous-sol de ces deux pays. Un glissement du conflit vers le nord-Niger pourrait être très préjudiciable à la France : l’approvisionnement en uranium via la firme Areva pourrait être perturbé, ce qui serait à même de perturber le fonctionnement de l’énergie nucléaire civile en France.
Question : Connaissez vous la réaction de la Chine et de la Russie devant cette action militaire française ?
Berangère Rouppert : Par la voix de son envoyé spécial pour l’Afrique, la Russie a rappelé, au lendemain de l’intervention française, que « toute opération militaire en Afrique peut et doit être menée sous la direction des Nations unies et l’Union africaine ». Une manière de condamner l’intervention française et de dire qu’elle se situe hors cadre onusien. Pourtant, l’ambassadeur russe à l’Onu a annoncé en début de semaine que « les actions sont conformes aux normes du droit international, elles s’inscrivent dans le cadre la résolution 2085 et sont conformes au droit international, ce recours à la force militaire ayant été décrété à la demande du gouvernement malien ». Quant à la Chine, elle met elle aussi l’accent sur la nécessité de voir se déployer rapidement la mission internationale prévue dans le cadre onusien.
La Russie et la Chine ont des intérêts énergétiques dans la zone sahélienne et privilégient la non-déstabilisation de la zone sahélienne. L’arrivée de la Chine au Sahel s’inscrit dans le cadre de sa politique destinée à sécuriser ses approvisionnements énergétiques d’une part, et, d’autre part, dans le cadre du développement du nucléaire civil. La China National Petroleum Corporation, la Chinese National Off-shore Oil Company et Sinopec sont présentes dans les pays sahéliens, notamment au Niger, en Mauritanie et au Tchad, et mènent également des prospections au Mali. Quant à la compagnie russe Gazprom, elle a commencé sa pénétration au Sahel par l’Algérie et le Nigeria. Via Gazprombank NGS, filière de Gazprom, la Russie a fini par obtenir du Niger en 2011 un accord de concession minière pour la recherche et l’exploitation de gisements d’uranium.
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