C’est une lettre de quelques lignes, tapée à la machine. Signée par Augustin Bizimana, le ministre de la Défense rwandais, elle est adressée « au Capitaine Paul Barril ». « Monsieur,… la situation dans mon pays devient de plus en plus critique… Vu l’évolution actuelle du conflit, je vous confirme mon accord pour recruter, pour le gouvernement rwandais, 1000 hommes devant combattre aux côtés des Forces Armées Rwandaises. » La missive insiste sur « l’urgence » de la requête.
Elle est datée du 27 avril 1994. A cette date, le génocide rwandais a commencé depuis trois semaines. Depuis que, le 6 avril, l’avion du président Juvénal Habyarimana a été abattu. Les Hutus, accusant les Tutsis du Front patriotique rwandais (FPR) d’avoir commis l’attentat, lancent un effroyable génocide. Hommes, femmes, vieillards, enfants : en quatre mois, essentiellement à coups de machette, ils massacrent 800000 Tutsis (évaluation de l’ONU).
3M$ de factures d’armes, de munitions et d’hommes
Quatre ans après l’attentat contre le président rwandais, une enquête est ouverte en France pour déterminer qui a abattu l’aéronef. Très rapidement, en dépit des très nombreuses contradictions et insuffisances de ses investigations, le juge Bruguière accuse le FPR.
Mais, depuis que son successeur Marc Trévidic a repris le dossier, les cartes ont été entièrement rebattues. Le rôle des autorités françaises dans le génocide apparaît particulièrement ambigu. A ce titre, la lettre au capitaine Barril, récemment versée au dossier et dont nous nous sommes procuré la copie, est saisissante.
Lorsqu’il est sollicité par le ministre de la Défense rwandais, le capitaine Barril n’est pas n’importe qui. « Paul Barril, à cette époque, c’est la France, résume une source judiciaire. Faire appel à lui, c’est faire appel à la France. » Ancien patron du GIGN, cela fait déjà plusieurs années que, avec sa société Secrets, Barril travaille dans l’ombre, à la demande de François de Grossouvre (un conseiller de Mitterrand), pour le gouvernement rwandais. Officiellement, Barril est d’abord chargé d’« une mission d’infiltration » au service du gouvernement rwandais, avant d’être sollicité par la veuve Habyarimana pour enquêter sur les auteurs de l’attentat. Officieusement, son rôle est nettement plus discutable.
L’été dernier, à la demande du juge Trévidic, une série de perquisitions menées chez Barril et auprès de son entourage ont permis de mettre la main sur des documents accablants. Outre la demande de 1000 mercenaires, les enquêteurs ont récupéré des factures d’armes, de munitions et d’hommes, liées à « un contrat d’assistance » passé entre Barril et le gouvernement rwandais et daté du 28 mai 1994. Cartouches, obus, mortiers, grenades… le montant global dépasse les 3 M$. Le 20 décembre dernier, le juge Trévidic interroge le capitaine Barril sur ces documents. Le contrat d’assistance? « Cela n’a jamais existé », prétend l’intéressé. Les factures? « Cela ne s’est jamais fait. » Paul Barril, qui se présente désormais comme conseiller auprès des autorités qatariennes, a une expression pour résumer tout cela : « C’est de la mayonnaise africaine. » Une mayonnaise de près d’un million de morts.
Le Parisien
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